Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/519

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les voir encore ; et un rire aigu, déchirant, tomba sur eux, du haut de l’escalier. Frédéric poussa Rosanette dans le fiacre, se mit en face d’elle, et, pendant toute la route, ne prononça pas un mot.

L’infamie dont le rejaillissement l’outrageait, c’était lui-même qui en était cause. Il éprouvait tout à la fois la honte d’une humiliation écrasante et le regret de sa félicité ; quand il allait enfin la saisir, elle était devenue irrévocablement impossible ! et par la faute de celle-là, de cette fille, de cette catin. Il aurait voulu l’étrangler ; il étouffait. Rentrés chez eux, il jeta son chapeau sur un meuble, arracha sa cravate.

— Ah ! tu viens de faire quelque chose de propre, avoue-le !

Elle se campa fièrement devant lui.

— Eh bien, après ? Où est le mal ?

— Comment ! Tu m’espionnes ?

— Est-ce ma faute ? Pourquoi vas-tu te divertir chez les femmes honnêtes ?

— N’importe ! Je ne veux pas que tu les insultes.

— En quoi l’ai-je insultée ?

Il n’eut rien à répondre ; et, d’un accent plus haineux :

— Mais, l’autre fois, au Champ-de-Mars…

— Ah ! tu nous ennuies avec tes anciennes !

— Misérable !

Il leva le poing.

— Ne me tue pas ! Je suis enceinte !

Frédéric se recula.

— Tu mens !

— Mais regarde-moi !