Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/100

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— « Je ne te réclame pas de quittance, puisque je vis à tes crochets. »

Frédéric lui sauta au cou, avec mille protestations affectueuses. Deslauriers resta froid. Puis, le lendemain, apercevant l’ombrelle sur le piano :

— « Ah ! c’était pour cela ! »

— « Je l’enverrai peut-être », dit lâchement Frédéric.

Le hasard le servit, car il reçut, dans la soirée, un billet bordé de noir, et où Mme Dambreuse, lui annonçant la perte d’un oncle, s’excusait de remettre à plus tard le plaisir de faire sa connaissance.

Il arriva dès deux heures au bureau du Journal. Au lieu de l’attendre pour le mener dans sa voiture, Arnoux était parti la veille, ne résistant plus à son besoin de grand air.

Chaque année, aux premières feuilles, durant plusieurs jours de suite, il décampait le matin, faisait de longues courses à travers champs, buvait du lait dans les fermes, batifolait avec les villageoises, s’informait des récoltes, et rapportait des pieds de salade dans son mouchoir. Enfin, réalisant un vieux rêve, il s’était acheté une maison de campagne.

Pendant que Frédéric parlait au commis, Mlle Vatnaz survint, et fut désappointée de ne pas voir Arnoux. Il resterait là-bas encore deux jours, peut-être. Le commis lui conseilla « d’y aller » ; elle ne pouvait y aller ; d’écrire une lettre, elle avait peur que la lettre ne fût perdue.

Frédéric s’offrit à la porter lui-même. Elle en fit une rapidement, et le conjura de la remettre sans témoins.

Quarante minutes après, il débarquait à Saint-Cloud.

La maison, cent pas plus loin que le pont, se trouvait à mi-hauteur de la colline. Les murs du jardin étaient cachés par deux rangs de tilleuls, et une large pelouse descendait jusqu’au bord de la rivière. La porte de la grille étant ouverte, Frédéric entra.

Arnoux, étendu sur l’herbe, jouait avec une portée