Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/106

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terre. Elle les enfonça dans le tablier de cuir, contre le siège, et l’on partit.

Frédéric, assis près d’elle, remarqua qu’elle tremblait horriblement. Puis, quand on eut passé le pont, comme Arnoux tournait à gauche :

— « Mais non ! tu te trompes ! par là, à droite ! »

Elle semblait irritée ; tout la gênait. Enfin, Marthe ayant fermé les yeux, elle tira le bouquet et le lança par la portière, puis saisit au bras Frédéric, en lui faisant signe, avec l’autre main, de n’en jamais parler.

Ensuite, elle appliqua son mouchoir contre ses lèvres, et ne bougea plus.

Les deux autres, sur le siège, causaient imprimerie, abonnés. Arnoux, qui conduisait sans attention, se perdit au milieu du bois de Boulogne. Alors, on s’enfonça dans de petits chemins. Le cheval marchait au pas ; les branches des arbres frôlaient la capote. Frédéric n’apercevait de Mme Arnoux que ses deux yeux, dans l’ombre ; Marthe s’était allongée sur elle, et il lui soutenait la tête.

— « Elle vous fatigue ! » dit sa mère.

Il répondit :

— « Non ! oh non ! »

De lents tourbillons de poussière se levaient ; on traversait Auteuil ; toutes les maisons étaient closes ; un réverbère, çà et là, éclairait l’angle d’un mur, puis on rentrait dans les ténèbres ; une fois, il s’aperçut qu’elle pleurait.

Etait-ce un remords ? un désir ? quoi donc ? Ce chagrin, qu’il ne savait pas, l’intéressait comme une chose personnelle ; maintenant, il y avait entre eux un lien nouveau, une espèce de complicité ; et il lui dit, de la voix la plus caressante qu’il put :

— « Vous souffrez ? »

— « Oui, un peu », reprit-elle.

La voiture roulait, et les chèvrefeuilles et les seringas