Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/143

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Un groom leur ouvrit la porte, et ils entrèrent dans l’antichambre, où des paletots, des manteaux et des châles étaient jetés en pile sur des chaises. Une jeune femme, en costume de dragon Louis XV, la traversait en ce moment-là. C’était Mlle Rose-Annette Bron, la maîtresse du lieu.

— « Eh bien ? » dit Arnoux.

— « C’est fait ! » répondit-elle.

— « Ah ! merci, mon ange ! »

Et il voulut l’embrasser.

— « Prends donc garde, imbécile ! tu vas gâter mon maquillage ! »

Arnoux présenta Frédéric.

— « Tapez là dedans, monsieur, soyez le bienvenu ! » Elle écarta une portière derrière elle, et se mit à crier emphatiquement :

— « Le sieur Arnoux, marmiton, et un prince de ses amis ! »

Frédéric fut d’abord ébloui par les lumières ; il n’aperçut que de la soie, du velours, des épaules nues, une masse de couleurs qui se balançait aux sons d’un orchestre caché par des verdures, entre des murailles tendues de soie jaune, avec des portraits au pastel, çà et là, et des torchères de cristal en style Louis XVI. De hautes lampes, dont les globes dépolis ressemblaient à des boules de neige, dominaient des corbeilles de fleurs, posées sur des consoles, dans les coins ; — et, en face, après une seconde pièce plus petite, on distinguait, dans une troisième, un lit à colonnes torses, ayant une glace de Venise à son chevet.

Les danses s’arrêtèrent, et il y eut des applaudissements, un vacarme de joie, à la vue d’Arnoux s’avançant avec son panier sur la tête ; les victuailles faisaient bosse au milieu. — « Gare au lustre ! » Frédéric leva les yeux : c’était le lustre en vieux saxe qui ornait la boutique de l’Art industriel ; le souvenir des anciens jours passa dans sa mémoire ; mais un fantassin de la Ligne