Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/189

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Elle ne demandait pas mieux que de s’en débarrasser.

— « Qui vous en empêche ? »

Et il exhala d’amères plaisanteries sur ce vieux bourgeois à perruque, lui montrant qu’une pareille liaison était indigne, et qu’elle devait la rompre !

— « Oui », répondit la Maréchale, comme se parlant à elle-même. « C’est ce que je finirai par faire, sans doute ! »

Frédéric fut charmé de ce désintéressement. Elle se ralentissait, il la crut fatiguée. Elle s’obstina à ne pas vouloir de voiture et elle le congédia devant sa porte, en lui envoyant un baiser du bout des doigts.

— « Ah ! quel dommage ! et songer que des imbéciles me trouvent riche ! »

Il était sombre en arrivant chez lui.

Hussonnet et Deslauriers l’attendaient.

Le bohème, assis devant sa table, dessinait des têtes de Turcs, et l’avocat, en bottes crottées, sommeillait sur le divan.

« Ah ! enfin », s’écria-t-il. « Mais quel air farouche ! Peux-tu m’écouter ? »

Sa vogue comme répétiteur diminuait, car il bourrait ses élèves de théories défavorables pour leurs examens. Il avait plaidé deux ou trois fois, avait perdu, et chaque déception nouvelle le rejetait plus fortement vers son vieux rêve : un journal où il pourrait s’étaler, se venger, cracher sa bile et ses idées. Fortune et réputation, d’ailleurs, s’ensuivraient. C’était dans cet espoir qu’il avait circonvenu le bohème, Hussonnet possédant une feuille.

À présent, il la tirait sur papier rose ; il inventait des canards, composait des rébus, tâchait d’engager des polémiques, et même (en dépit du local) voulait monter des concerts ! L’abonnement d’un an « donnait droit à une place d’orchestre dans un des principaux théâtres de Paris ; de plus, l’administration se chargeait de fournir à