Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/196

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Sa grosse face couleur de cire emplissait convenablement son collier, lequel était une merveille, tant les poils noirs se trouvaient bien égalisés ; et, gardant un juste milieu entre l’élégance voulue par son âge et la dignité que réclamait sa profession, il accrochait son pouce dans son aisselle suivant l’usage des beaux, puis mettait son bras dans son gilet à la façon des doctrinaires. Bien qu’il eût des bottes extra-vernies, il portait les tempes rasées, pour se faire un front de penseur.

Après quelques mots débités froidement, il se retourna vers son conciliabule. Un propriétaire disait :

— « C’est une classe d’hommes qui rêvent le bouleversement de la société ! »

— « Ils demandent l’organisation du travail ! » reprit un autre. « Conçoit-on cela ? »

— « Que voulez-vous ! » fit un troisième, « quand on voit M. de Genoude donner la main au Siècle ! »

— « Et des conservateurs, eux-mêmes, s’intituler progressifs ! Pour nous amener, quoi ? la République ! comme si elle était possible en France ! »

Tous déclarèrent que la République était impossible en France.

— « N’importe », remarqua tout haut un monsieur. « On s’occupe trop de la Révolution ; on publie là-dessus un tas d’histoires, de livres !… »

— « Sans compter », dit Martinon, « qu’il y a, peut-être, des sujets d’étude plus sérieux ! »

Un ministériel s’en prit aux scandales du théâtre :

— « Ainsi, par exemple, ce nouveau drame la Reine Margot dépasse véritablement les bornes ! Où était le besoin qu’on nous parlât des Valois ? Tout cela montre la royauté sous un jour défavorable ! C’est comme votre Presse ! Les lois de septembre, on a beau dire, sont infiniment trop douces Moi, je voudrais des cours martiales pour bâillonner les journalistes ! À la moindre insolence, traînés devant un conseil de guerre ! et allez donc ! »