Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/201

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Puis, comme on mettait les pelisses et les paletots, M. Dambreuse lui dit :

— « Venez me voir un de ces matins, nous causerons ! »

Martinon, au bas de l’escalier, alluma un cigare ; et il offrait, en le suçant, un profil tellement lourd, que son compagnon lâcha cette phrase :

— « Tu as une bonne tête, ma parole »

— « Elle en a fait tourner quelques-unes ! » reprit le jeune magistrat, d’un air à la fois convaincu et vexé.

Frédéric, en se couchant, résuma la soirée. D’abord, sa toilette (il s’était observé dans les glaces plusieurs fois), depuis la coupe de l’habit jusqu’au nœud des escarpins, ne laissait rien à reprendre ; il avait parlé à des hommes considérables, avait vu de près des femmes riches, M. Dambreuse s’était montré excellent et Mme Dambreuse presque engageante. Il pesa un à un ses moindres mots, ses regards, mille choses inanalysables et cependant expressives. Ce serait crânement beau d’avoir une pareille maîtresse ! Pourquoi non, après tout ? Il en valait bien un autre ! Peut-être qu’elle n’était pas si difficile ? Martinon ensuite revint à sa mémoire ; et, en s’endormant, il souriait de pitié sur ce brave garçon.

L’idée de la Maréchale le réveilla ; ces mots de son billet : « À partir de demain soir », étaient bien un rendez-vous pour le jour même. Il attendit jusqu’à neuf heures, et courut chez elle.

Quelqu’un, devant lui, qui montait l’escalier, ferma la porte. Il tira la sonnette ; Delphine vint ouvrir, et affirma que Madame n’y était pas.

Frédéric insista, pria. Il avait à lui communiquer quelque chose de très grave, un simple mot. Enfin l’argument de la pièce de cent sous réussit, et la bonne le laissa seul dans l’antichambre.

Rosanette parut. Elle était en chemise, les cheveux dénoués ; et, tout en hochant la tête, elle fit de foin avec