Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/228

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Un réverbère, en face, l’éclairait ; et avec son cigare entre ses dents blanches et son air heureux, il avait quelque chose d’intolérable.

— « Ah ! à propos, mon notaire a été ce matin chez le vôtre, pour cette inscription d’hypothèque. C’est ma femme qui me l’a rappelé. »

— « Une femme de tête ! » reprit machinalement Frédéric.

— « Je crois bien ! »

Et Arnoux recommença son éloge. Elle n’avait pas sa pareille pour l’esprit, le cœur, l’économie ; il ajouta d’une voix basse, en roulant des yeux :

— « Et comme corps de femme ! »

— « Adieu ! » dit Frédéric.

Arnoux fit un mouvement.

— « Tiens ! pourquoi ? »

Et, la main à demi tendue vers lui, il l’examinait, tout décontenancé par la colère de son visage.

Frédéric répliqua sèchement :

— « Adieu ! »

Il descendit la rue de Bréda comme une pierre qui déroule, furieux contre Arnoux, se faisant le serment de ne jamais plus le revoir, ni elle non plus, navré, désolé. Au lieu de la rupture qu’il attendait, voilà que l’autre, au contraire, se mettait à la chérir et complètement, depuis le bout des cheveux jusqu’au fond de l’âme. La vulgarité de cet homme exaspérait Frédéric. Tout lui appartenait donc, à celui-là ! Il le retrouvait sur le seuil de la lorette ; et la mortification d’une rupture s’ajoutait à la rage de son impuissance. D’ailleurs, l’honnêteté d’Arnoux offrant des garanties pour son argent l’humiliait ; il aurait voulu l’étrangler et par-dessus son chagrin planait dans sa conscience, comme un brouillard, le sentiment de sa lâcheté envers son ami. Des larmes l’étouffaient.

Deslauriers dévalait la rue des Martyrs, en jurant tout haut d’indignation ; car son projet, tel qu’un obélisque