Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/233

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traste avec un autre déjeuner chez Arnoux. Il n’osait interrompre M. Dambreuse.

Madame remarqua son embarras.

— « Voyez-vous quelquefois notre ami Martinon ? »

— « Il viendra ce soir », dit vivement la jeune fille.

— « Ah ! tu le sais ? » répliqua sa tante, en arrêtant sur elle un regard froid.

Puis, un des valets s’étant penché à son oreille :

— « Ta couturière, mon enfant !… miss John ! »

Et l’institutrice, obéissante, disparut avec son élève.

M. Dambreuse, troublé par le dérangement des chaises, demanda ce qu’il y avait.

— « C’est Mme Regimbart. »

— « Tiens ! Regimbart ! Je connais ce nom-là. J’ai rencontré sa signature. »

Frédéric aborda enfin la question ; Arnoux méritait de l’intérêt ; il allait même, dans le seul but de remplir ses engagements, vendre une maison à sa femme.

— « Elle passe pour très jolie », dit Mme Dambreuse.

Le banquier ajouta d’un air bonhomme :

— « Êtes-vous leur ami… intime ? »

Frédéric, sans répondre nettement, dit qu’il lui serait fort obligé de prendre en considération…

— « Eh bien, puisque cela vous fait plaisir, soit ! on attendra ! J’ai du temps encore. Si nous descendions dans mon bureau, voulez-vous ? »

Le déjeuner était fini ; Mme Dambreuse s’inclina légèrement, tout en souriant d’un rire singulier, plein à la fois de politesse et d’ironie. Frédéric n’eut pas le temps d’y réfléchir ; car M. Dambreuse, dès qu’ils furent seuls :

— « Vous n’êtes pas venu chercher vos actions. » Et, sans lui permettre de s’excuser : — « Bien ! bien ! il est juste que vous connaissiez l’affaire un peu mieux. »