Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/252

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repassaient ; une cloche, suspendue à un poteau couvert de chiffres, tinta. Cinq chevaux parurent, et on rentra dans les tribunes.

Cependant, de gros nuages effleuraient de leurs volutes la cime des ormes, en face. Rosanette avait peur de la pluie.

— « J’ai des riflards », dit Frédéric, « et tout ce qu’il faut pour se distraire », ajouta-t-il en soulevant le coffre, où il y avait des provisions de bouche dans un panier.

— « Bravo ! nous nous comprenons ! »

— « Et on se comprendra encore mieux, n’est-ce pas ? »

— « Cela se pourrait ! » fit-elle en rougissant.

Les jockeys, en casaque de soie, tâchaient d’aligner leurs chevaux et les retenaient à deux mains. Quelqu’un abaissa un drapeau rouge. Alors, tous les cinq, se penchant sur les crinières, partirent. Ils restèrent d’abord serrés en une seule masse, bientôt elle s’allongea, se coupa ; celui qui portait la casaque jaune, au milieu du premier tour, faillit tomber longtemps il y eut de l’incertitude entre Filly et Tibi puis Tom Pouce parut en tête ; mais Culbstick, en arrière depuis le départ, les rejoignit et arriva premier, battant Sir Charles de deux longueurs ; ce fut une surprise ; on criait ; les baraques de planches vibraient sous les trépignements.

— « Nous nous amusons ! » dit la Maréchale. « Je t’aime, mon chéri ! »

Frédéric ne douta plus de son bonheur ; ce dernier mot de Rosanette le confirmait.

À cent pas de lui, dans un cabriolet milord, une dame parut. Elle se penchait en dehors de la portière, puis se Frédéric ne pouvait distinguer sa figure. Un soupçon le renfonçait vivement ; cela recommença plusieurs fois, saisit, il lui sembla que c’était Mme Arnoux. Impossible, cependant ! Pourquoi serait-elle venue ?