Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/267

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Sénécal n’avait rien deviné, car il reprit :

— « C’est-à-dire que, sans vous, j’aurais peut-être trouvé mieux.

Frédéric fut saisi d’une espèce de remords.

— « En quoi puis-je vous servir, maintenant ? » Sénécal demandait un emploi quelconque, une place.

— « Cela vous est facile. Vous connaissez tant de monde, M. Dambreuse entre autres, à ce que m’a dit Deslauriers. »

Ce rappel de Deslauriers fut désagréable à son ami. Il ne se souciait guère de retourner chez les Dambreuse depuis la rencontre du Champ de Mars.

— « Je ne suis pas suffisamment intime dans la maison pour recommander quelqu’un. »

Le démocrate essuya ce refus stoïquement, et, après une minute de silence :

— « Tout cela, j’en suis sûr, vient de la Bordelaise et aussi de votre Mme Arnoux. »

Ce votre ôta du cœur de Frédéric le peu de bon vouloir qu’il gardait. Par délicatesse, cependant, il atteignit la clef de son secrétaire.

Sénécal le prévint.

— « Merci ! »

Puis, oubliant ses misères, il parla des choses de la patrie, les croix d’honneur prodiguées à la fête du Roi, un changement de cabinet, les affaires Drouillard et Bénier, scandales de l’époque, déclama contre les bourgeois et prédit une révolution.

Un crid japonais suspendu contre le mur arrêta ses yeux. Il le prit, en essaya le manche, puis le rejeta sur le canapé, avec un air de dégoût.

— « Allons, adieu ! Il faut que j’aille à Notre-Dame de Lorette.

— « Tiens ! pourquoi ? »

— « C’est aujourd’hui le service anniversaire de Godefroy Cavaignac. Il est mort à l’œuvre, celui-là ! Mais tout n’est pas fini !… Qui sait ? »