Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/281

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Cisy gardait sa tête sur sa poitrine ; il la releva doucement et fit observer qu’on n’avait pas pris de médecin.

— « C’est inutile », dit le Baron.

— « Il n’y a pas de danger, alors ? »

Joseph répliqua d’un ton grave :

— « Espérons-le ! »

Et personne dans la voiture ne paria plus.

À sept heures dix minutes, on arriva devant la porte Maillot. Frédéric et ses témoins s’y trouvaient, habillés de noir tous les trois. Regimbart, au lieu de cravate, avait un col de crin comme un troupier ; et il portait une espèce de longue boîte à violon, spéciale pour ce genre d’aventures. On échangea froidement un salut. Puis tous s’enfoncèrent dans le bois de Boulogne, par la route de Madrid, afin d’y trouver une place convenable.

Regimbart dit à Frédéric, qui marchait entre lui et Dussardier :

— « Eh bien, et cette venette, qu’en fait-on ? Si vous avez besoin de quelque chose, ne vous gênez pas, je connais ça ! La crainte est naturelle à l’homme. » Puis, à voix basse :

« Ne fumez plus, ça amollit ! »

Frédéric jeta son cigare qui le gênait, et continua d’un pied ferme. Le Vicomte avançait par derrière, appuyé sur le bras de ses deux témoins.

De rares passants les croisaient. Le ciel était bleu, et on entendait, par moments, des lapins bondir. Au détour d’un sentier, une femme en madras causait avec un homme en blouse, et, dans la grande avenue sous les marronniers, des domestiques en veste de toile promenaient leurs chevaux. Cisy se rappelait les jours heureux où, monté sur son alezan et le lorgnon dans l’œil, il chevauchait à la portière des calèches ; ces souvenirs renforçaient son angoisse ; une soif intolérable le brûlait — la susurration des mouches se