Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/427

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— « Mais la fille de M. Roque ! »

Et elle le plaisanta sur l’amour de cette jeune provinciale. Il s’en défendait, en tâchant de rire.

— « Est-ce croyable ! je vous le demande ! Une laideron pareille ! »

Cependant, il éprouvait un plaisir de vanité immense. Il se rappelait l’autre soirée, celle dont il était sorti, le cœur plein d’humiliations ; et il respirait largement ; il se sentait dans son vrai milieu, presque dans son domaine, comme si tout cela, y compris l’hôtel Dambreuse, lui avait appartenu. Les dames formaient un demi-cercle en l’écoutant ; et, afin de briller, il se prononça pour le rétablissernent du divorce, qui devait être facile jusqu’à pouvoir se quitter et se reprendre indéfiniment, tant qu’on voudrait. Elles se récrièrent ; d’autres chuchotaient ; il y avait de petits éclats de voix dans l’ombre, au pied du mur couvert d’aristoloches. C’était comme un caquetage de poules en gaieté ; et il développait sa théorie, avec cet aplomb que la conscience du succès procure. Un domestique apporta dans la tonnelle un plateau chargé de glaces. Les messieurs s’en rapprochèrent. Ils causaient des arrestations.

Alors, Frédéric se vengea du Vicomte en lui faisant accroire qu’on allait peut-être le poursuivre comme légitimiste. L’autre objectait qu’il n’avait pas bougé de sa chambre ; son adversaire accumula les chances mauvaises ; MM. Dambreuse et de Grémonville eux-mêmes s’amusaient. Puis ils complimentèrent Frédéric, tout en regrettant qu’il n’employât pas ses facultés à la défense de l’ordre ; et leur poignée de main fut cordiale ; il pouvait désormais compter sur eux. Enfin, comme tout le monde s’en allait, le Vicomte s’inclina très bas devant Cécile :

— « Mademoiselle, j’ai bien l’honneur de vous souhaiter le bonsoir. »

Elle répondit d’un ton sec :