Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/44

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La chose était facile, et ils convinrent du jour suivant.

Hussonnet manqua le rendez-vous ; il en manqua trois autres. Un samedi, vers quatre heures, il apparut. Mais, profitant de la voiture, il s’arrêta d’abord au Théâtre Français pour avoir un coupon de loge ; il se fit descendre chez un tailleur, chez une couturière ; il écrivait des billets chez les concierges. Enfin ils arrivèrent boulevard Montmartre. Frédéric traversa la boutique, monta l’escalier. Arnoux le reconnut dans la glace placée devant son bureau ; et, tout en continuant à écrire, lui tendit la main par-dessus l’épaule.

Cinq ou six personnes, debout, emplissaient l’appartement étroit, qu’éclairait une seule fenêtre donnant sur la cour ; un canapé en damas de laine brune occupant au fond l’intérieur d’une alcôve, entre deux portières d’étoffe semblable. Sur la cheminée couverte de paperasses, il y avait une Vénus en bronze ; deux candélabres, garnis de bougies roses, la flanquaient parallèlement. À droite, près d’un cartonnier, un homme dans un fauteuil lisait le journal, en gardant son chapeau sur sa tête ; les murailles disparaissaient sous des estampes et des tableaux, gravures précieuses ou esquisses de maîtres contemporains, ornées de dédicaces, qui témoignaient pour Jacques Arnoux de l’affection la plus sincère.

— « Cela va toujours bien ? » fit-il en se tournant vers Frédéric.

Et, sans attendre sa réponse, il demanda bas à Hussonnet :

— « Comment l’appelez-vous, votre ami ? »

Puis tout haut :

— « Prenez donc un cigare, sur le cartonnier, dans la boîte. »

L’Art industriel, posé au point central de Paris, était un lieu de rendez-vous commode, un terrain neutre où les rivalités se coudoyaient familièrement.