Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/445

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centre gauche, les paladins de la droite, les burgraves du juste-milieu, les éternels bonshommes de la comédie. Il fut stupéfait par leur exécrable langage, leurs petitesses, leurs rancunes, leur mauvaise foi, — tous ces gens qui avaient voté la Constitution s’évertuant à la démolir ; et ils s’agitaient beaucoup, lançaient des manifestes, des pamphlets, des biographies ; celle de Fumichon par Hussonnet fut un chef-d’œuvre. Nonancourt s’occupait de la propagande dans les campagnes, M. de Grémonville travaillait le clergé, Martinon ralliait de jeunes bourgeois. Chacun, selon ses moyens, s’employa, jusqu’à Cisy lui-même. Pensant maintenant aux choses sérieuses, tout le long de la journée il faisait des courses en cabriolet, pour le parti.

M. Dambreuse, tel qu’un baromètre, en exprimait constamment la dernière variation. On ne parlait pas de Lamartine sans qu’il citât ce mot d’un homme du peuple : « Assez de lyre ! » Cavaignac n’était plus, à ses yeux, qu’un traître. Le Président, qu’il avait admiré pendant trois mois, commençait à déchoir dans son estime (ne lui trouvant pas « l’énergie nécessaire » ) —, et, comme il lui fallait toujours un sauveur, sa reconnaissance, depuis l’affaire du Conservatoire, appartenait à Changarnier : « Dieu merci, Changarnier… Espérons que Changarnier… Oh ! rien à craindre tant que Changarnier… »

On exaltait avant tout M. Thiers pour son volume contre le Socialisme, où il s’était montré aussi penseur qu’écrivain. On riait énormément de Pierre Leroux, qui citait à la Chambre des passages des philosophes. On faisait des plaisanteries sur la queue phalanstériennel. On allait applaudir la Foire aux Idées ; et on comparait les auteurs à Aristophane. Frédéric y alla, comme les autres.

Le verbiage politique et la bonne chère engourdissaient sa moralité. Si médiocres que lui parussent ces personnages, il était fier de les connaître et intérieure-