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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
NEPTUNE, empêtré, comme à Elis, dans trois robes, l’une par-dessus l’autre. Il manque de tomber à tous les pas et s’appuie sur son trident.

Qu’est-ce donc ? Je ne puis ni m’étendre sur le rivage, ni courir dans les plaines. On m’a serré les côtes avec des digues, et mes dauphins jusqu’au dernier se sont pourris au fond des eaux. Autrefois j’envahissais la campagne, je faisais trembler la terre, j’étais le Mugissant, l’Inondateur, et la Fortune s’invoquait dans tous mes sacrifices. Des monstres couronnés de vipères jappaient incessamment sur mes récifs pointus. On ne passait pas les détroits, on faisait naufrage, en doublant les îles.

Heureux celui qui pouvait un jour tirer sur la grève sa galère désarmée, revoir ses vieux parents et suspendre au sec, dans le foyer domestique, le gouvernail de ses voyages !

LA MORT

Passe ! passe !

HERCULE, ruisselant de sueur, haletant. Il dépose sa massue et s’essuie la figure avec sa peau de lion, dont la gueule lui pend sur l’épaule.

Ah !

Il reste d’abord sans pouvoir parler, tant il est hors d’haleine.