Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

ce qui reste de ta verdure est brouté par les ânes !

Les Muses s’en vont et
VÉNUS arrive toute nue, et regardant, de côté et d’autre, avec inquiétude. Elle pousse un cri d’effroi, en apercevant la Luxure.

Grâce ! va-t’en ! laisse-moi ! Tes baisers ont fait pâlir mes belles couleurs ! J’étais libre autrefois, j’étais pure, les Océans frissonnaient d’amour au contact de mes talons ! Baigneuse insaisissable, je nageais dans l’éther bleu, où ma ceinture que se disputaient les zéphirs, resplendissait, toute large et magnifique, comme un arc-en-ciel tombé de l’Olympe. J’étais la Beauté ! J’étais la Forme ! je tressaillais sur le monde engourdi, et la matière, se séchant à mon regard, s’affermissait de soi-même en contours précis. L’artiste plein d’angoisse m’invoquait dans son travail, le jeune homme dans son désir, et les femmes, dans le rêve de leur maternité. C’est toi, c’est toi, ô Besoin immonde, qui m’as déshonorée !

LA MORT

Passe, belle Vénus ! Tu te purifieras dans mes étreintes.

On entend quelqu’un qui sanglote.