Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/303

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ruques sont aussi longues que les chevelures, aussi odorantes quand on les graisse, aussi gentilles quand on les frise, aussi châtoyantes de reflets métalliques, quand le soleil passe à travers. Le fard rehausse la joue d’ardeurs insolentes, les appas de coton excitent à l’adultère, et le galon d’or de nos guenilles, qui claque au vent quand nous dansons dans les carrefours, fait faire des réflexions philosophiques sur la fragilité des choses humaines.

Nous chantons, nous crions, nous pleurons, nous bondissons sur la corde, avec de grands balanciers. L’orchestre bruit, la baraque en tremble, des miasmes passent, des couleurs tournent, l’idée se bombe, la foule se presse, et, palpitants, l’œil au but, absorbés dans notre ouvrage, nous accomplissons la singulière fantaisie, qui fera rire de pitié ou crier de terreur.

Assourdis de notre vacarme, assombris par nos joies, ennuyés par nos tristesses… nous en avons des convulsions, des rhumatismes et des cancers !… Y a-t-il assez longtemps que, nous traînant par le monde, nous exhibons éternellement la même facétie ! Ce sont toujours des singes, des perroquets, des adjectifs et des rubans, des femmes colosses et des pensées sublimes ! Que de fois nous avons regardé les étoiles, en répétant le même refrain ! et secoué la rosée d’avril et gazouillé les romances de la fauvette ! Avons-nous assez comparé les feuilles aux illusions, les hommes à des grains de sable, les jeunes filles à des roses !