Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/168

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M. Léon, dit-il, est remonté de bonne heure.

Elle ne put s’empêcher de sourire, et elle s’endormit l’âme remplie d’un enchantement nouveau.

Le lendemain, à la nuit tombante, elle reçut la visite du sieur Lheureux, marchand de nouveautés. C’était un homme habile que ce boutiquier,

Né Gascon, mais devenu Normand, il doublait sa faconde méridionale de cautèle cauchoise. Sa figure grasse, molle et sans barbe, semblait teinte par une décoction de réglisse claire, et sa chevelure blanche rendait plus vif encore l’éclat rude de ses petits yeux noirs. On ignorait ce qu’il avait été jadis : porteballe, disaient les uns, banquier à Routot, selon les autres. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il faisait, de tête, des calculs compliqués à effrayer Binet lui-même. Poli jusqu’à l’obséquiosité, il se tenait toujours les reins à demi courbés, dans la position de quelqu’un qui salue ou qui invite.

Après avoir laissé à la porte son chapeau garni d’un crêpe, il posa sur la table un carton vert, et commença par se plaindre à Madame, avec force civilités, d’être resté jusqu’à ce jour sans obtenir sa confiance. Une pauvre boutique comme la sienne n’était pas faite pour attirer une élégante ; il appuya sur le mot. Elle n’avait pourtant, qu’à commander, et il se chargerait de lui fournir ce qu’elle voudrait, tant en mercerie que lingerie, bonneterie ou nouveautés ; car il allait à la ville quatre fois par mois, régulièrement. Il était en relation avec les plus fortes maisons. On pouvait parler de lui aux Trois Frères, à la Barbe d’or ou