Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/270

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la multitude que pour s’illusionner lui-même. Charles piqua la peau ; on entendit un craquement sec. Le tendon était coupé, l’opération était finie. Hippolyte n’en revenait pas de surprise ; il se penchait sur les mains de Bovary pour les couvrir de baisers.

— Allons, calme-toi, disait l’apothicaire, tu témoigneras plus tard ta reconnaissance envers ton bienfaiteur !

Et il descendit conter le résultat à cinq ou six curieux qui stationnaient dans la cour, et qui s’imaginaient qu’Hippolyte allait reparaître marchant droit. Puis Charles, ayant bouclé son malade dans le moteur mécanique, s’en retourna chez lui, où Emma, tout anxieuse, l’attendait sur la porte. Elle lui sauta au cou ; ils se mirent à table ; il mangea beaucoup, et même il voulut, au dessert, prendre une tasse de café, débauche qu’il ne se permettait que le dimanche lorsqu’il y avait du monde.

La soirée fut charmante, pleine de causeries, de rêves en commun. Ils parlèrent de leur fortune future, d’améliorations à introduire dans leur ménage ; il voyait sa considération s’étendant, son bien-être s’augmentant, sa femme l’aimant toujours ; et elle se trouvait heureuse de se rafraîchir dans un sentiment nouveau, plus sain, meilleur, enfin d’éprouver quelque tendresse pour ce pauvre garçon qui la chérissait. L’idée de Rodolphe, un moment lui passa par la tête ; mais ses yeux se reportèrent sur Charles : elle remarqua même avec surprise qu’il n’avait point les dents vilaines.

Ils étaient au lit lorsque M. Homais, malgré la cuisinière, entra tout à coup dans la chambre, en