Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/368

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lui voulait, et le pharmacien poursuivait en phrases haletantes :

— Voilà comme tu reconnais les bontés qu’on a pour toi ! voilà comme tu me récompenses des soins tout paternels que je te prodigue ! Car sans moi, où serais-tu ? que ferais-tu ? Qui te fournit la nourriture, l’éducation, l’habillement, et tous les moyens de figurer un jour, avec honneur dans les rangs de la société ? Mais il faut pour cela suer ferme sur l’aviron, et acquérir, comme on dit, du cal aux mains. Fabricando fil faber, age quod agis.

Il citait du latin, tant il était exaspéré. Il eût cité du chinois et du groenlandais, s’il eût connu ces deux langues ; car il se trouvait dans une de ces crises où l’âme entière montre indistinctement ce qu’elle enferme, comme l’Océan, qui, dans les tempêtes, s’entr’ouvre depuis les fucus de son rivage jusqu’au sable de ses abîmes.

Et il reprit :

— Je commence à terriblement me repentir de m’être chargé de ta personne ! J’aurais certes mieux fait de te laisser autrefois croupir dans ta misère et dans la crasse où tu es né ! Tu ne seras jamais bon qu’à être un gardeur de bêtes à cornes ! Tu n’as nulle aptitude pour les sciences ! à peine si tu sais coller une étiquette ! Et tu vis là, chez moi, comme un chanoine, comme un coq en pâte, à te goberger !

Mais Emma, se tournant vers Mme Homais :

— On m’avait fait venir…

— Ah ! mon Dieu ! interrompit d’un air triste la bonne dame, comment vous dirai-je bien ?… C’est un malheur !