Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/388

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Enfin, lorsqu’il avait mangé sa soupe, endossé sa limousine, allumé sa pipe et empoigné son fouet, il s’installait tranquillement sur le siège.

L’Hirondelle partait au petit trot, et, durant trois quarts de lieue, s’arrêtait de place en place pour prendre des voyageurs, qui la guettaient debout, au bord du chemin, devant la barrière des cours. Ceux qui avaient prévenu la veille se faisaient attendre ; quelques-uns même étaient encore au lit dans leur maison ; Hivert appelait, criait, sacrait, puis il descendait de son siège et allait frapper de grands coups contre les portes. Le vent soufflait par les vasistas fêlés.

Cependant les quatre banquettes se garnissaient, la voiture roulait, les pommiers à la file se succédaient ; et la route, entre ses deux longs fossés pleins d’eau jaune, allait continuellement se rétrécissant vers l’horizon.

Emma la connaissait d’un bout à l’autre ; elle savait qu’après un herbage il y avait un poteau, ensuite un orme, une grange ou une cahute de cantonnier ; quelquefois même, afin de se faire des surprises, elle fermait les yeux. Mais elle ne perdait jamais le sentiment net de la distance à parcourir.

Enfin, les maisons de briques se rapprochaient, la terre résonnait sous les roues, l’Hirondelle glissait entre des jardins, où l’on apercevait, par une claire-voie, des statues, un vignot, des ifs taillés et une escarpolette. Puis, d’un seul coup d’œil, la ville apparaissait.

Descendant tout en amphithéâtre et noyée dans le brouillard, elle s’élargissait au delà des ponts, confusément. La pleine campagne remontait