Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/516

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

métiers, forgerons, orfèvres, serruriers, etc., pour y puiser les métaphores ; c’est là ce qui nous fait, en effet, une langue riche, variée ; il faut que les phrases s’agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance. » (Corr., 1854.)

Chaque mot est étudié, a sa place mesurée, voulue ; chaque phrase a sa sonorité, Flaubert se les lit à haute voix, en écoute la musique.

Le livre s’achève, Flaubert demande un dernier renseignement à Bouilhet sur la technique de l’opération projetée par Homais sur l’aveugle. Celui-ci lui répond :

« Quant à la Bovary, tu ne peux mettre ni un idiot, ni un cul-de-jatte : 1o  à cause de Monnier, Voyage en diligence ; 2o  à cause de Hugo, les Limaces, etc…

« Il faut un grand gaillard, avec un chancre sous le nez, ou bien un individu avec un moignon nu et sanguinolent. Vois toi-même. »

« En premier chef, l’affection de ton mendiant étant à coup sûr chronique, il est absurde tout d’abord d’avoir l’idée de l’en débarrasser ; donc, c’est superbe pour le caractère d’Homais. — Je ne me rappelle pas bien des détails de la figure — il avait les yeux sanguinolents, c’est-à-dire, je crois, les paupières retournées, boursouflées et rouges ? Eh bien, Homais peut avoir l’idée chirurgicale d’enlever la muqueuse, par une incision oblongue, et de ramener ainsi, de retourner la paupière dans son sens normal.

« Je ne me rappelle plus comment est le nez de ton troisième. Si par hasard il n’avait plus de nez, tu pourrais songer à la rinoplastie, au nez factice tiré de la peau du front (tu chercherais : rinoplastie, et je crois que tu aurais des détails). Ce serait une opération parallèle à celle du pied bot, à seule fin d’embellir la race humaine.

« Il peut aussi songer à cautériser fortement ces paupières rouges.

« Et dans tous les cas : comme toutes ces affections partent d’un vice scrofuleux, il lui conseillera avec bonté, le bon régime, le bon vin, la bonne bière, les viandes rôties, tout cela avec volubilité, comme une leçon qu’on répète (il se souvient des ordonnances qu’il reçoit quotidiennement et qui se terminent invariablement par ces mots : s’abstenir de farineux, de laitage, et s’exposer de temps à autre à la fumée des baies de genièvre). Je crois que ces conseils donnés par un gros homme à ce misérable crève-la-faim seraient d’un effet poignant. »

En 1856, la mise au net de Madame Bovary est terminée.

En souvenir d’un tel effort, probablement satisfait de son