Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/97

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de violentes âcretés et des fougues, belle nature nerveuse ; il lui manque la fortune et des occasions légitimes d’énergie.

Jeudi matin, temps superbe, tout le monde est gai ; on va bientôt débarquer. Nous prenons un pilote pour la passe d’Alexandrie, il a un turban blanc. (Nous avions à bord, sur les passavents, deux hadjis d’Algérie qui n’ont pas bougé de leur place.) Entré dans le port, il demanda du pain et du fromage à Roux en lui prenant la barbe : « As-tu les mains propres, au moins, sacré cochon ? » — Débarquement, chaos de cris et de paquets. Sur le bord du quai, à gauche, des bons Arabes pêchent à la ligne. Le premier bâtiment que je vois dans le port est un brick, de Saint-Malo, et la première chose sur la terre d’Égypte, un chameau. J’étais monté dans les haubans et j’avais aperçu le toit du sérail de Méhémet-Ali qui brillait au soleil, dôme noir, au milieu d’une grande lumière d’argent fondu sur la mer. — Négresses, nègres, fellahs. — Le canot nous débarque ; à cet endroit, il y a une fontaine, les chameaux venaient y remplir leurs outres. — Impression solennelle et inquiète quand j’ai senti mon pied s’appuyer sur la terre d’Égypte.

Alexandrie. — Grande ville, avec la place des Consuls, bâtarde, mi-arabe, mi-européenne. Messieurs en pantalon blanc et en tarbouch. — Hakakim-bey, beau-frère d’Artim-bey ; ses lunettes vertes (à la représentation de la Norma) lui donnaient l’air, avec son grand nez, d’une bête fantastique moitié crapaud, moitié dindon. — Mais quel joli petit nègre ! — MM. Jorelle, Gallis-bey, Gérardin, Prinstot-bey, Villemin, Soliman-Pacha, le