Page:Flaubert - Notes de voyages, II.djvu/359

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les castes sont perdus) doit représenter la lutte ou plutôt la fusion de la barbarie et de la civilisation ; la scène doit se passer au désert et à Paris, en Orient et en Occident. Opposition de mœurs, de paysages et de caractères, tout y serait, et le héros principal devrait être un barbare qui se civilise près d’un civilisé qui se barbarise.

La Poésie ne sort pas du monde organique, quoi qu’on en dise (littérature industrielle, utilitaire, humanitaire est sans beauté et sans entrailles) ; il lui faut une base sensible et une surface plastique. En ce sens, rien de plus poétique que le vice et le crime ; aussi les livres vertueux sont-ils ennuyeux et faux, ils méconnaissent la vie, le moi rejaillissant contre tous, l’homme contre la société ou en dehors d’elle, qui est le vrai homme organique. Voilà pourquoi il est peut-être si difficile de faire rire des vices. Notez que Molière ne s’est jamais attaqué qu’aux ridicules (Harpagon fait peur, Arnolphe fait pleurer, Tartuffe épouvante, etc.). Le ridicule, à la bonne heure, chose transitoire, conçue par l’homme, inventée par lui, qui vient de l’esprit et qui y retourne ! Comme personnages vicieux, je ne connais que ceux du marquis de Sade qui me fassent rire (et ce n’était pas l’intention de l’auteur, bien au contraire) ; mais ici le crime arrive à être un ridicule, car la nature est tellement exaltée, poussée à outrance qu’elle devient impossible et disparaît, on n’a plus qu’une conception des êtres fantastiques donnés pour humains et en opposition avec l’humanité.

« Il a une femme et des enfants », honorable excuse à toutes les turpitudes.

Le goût est comme la voix, souvent il perd en justesse et en ductilité ce qu’il gagne en hauteur.

Celui qui ne dit pas de mal des femmes ne les aime point, puisque la manière la plus profonde de sentir quelque chose est d’en souffrir.

Quand le goût se raffine, il se pervertit, comme les femmes qui, trop aimables, deviennent coquettes et pires.

Ce qu’elle a produit, la Philosophie ? rien du tout ; elle a fait grandir Dieu de siècle en siècle.

Une sottise ou une infamie, en se renforçant d’une autre, peut devenir respectable. Collez la peau d’un âne sur un pot de chambre, et vous en faites un tambour.