Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/164

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hauteur ; elles ont toutes de lourds chapiteaux au feuillage allongé, et se relient entre elles par des arcatures surhaussées se succédant sans intervalle.

On tâtonne dans l’ombre, et à la lueur de l’unique fenêtre du fond on aperçoit deux tombeaux noirs, humides, verts, deux vénérables tombeaux. Le premier porte la statue couchée d’un moine. On le reconnaît à la large tonsure qui montre à nu son vieux crâne de pierre ; il tient un livre à la main ; sa figure est rongée, comme à celle des morts le nez disparaît, et son corps maigre est enveloppé de longues draperies qui coulent vers ses pieds à grands plis droits.

Près de lui, sur une lame de pierre, est un abbé avec sa crosse et croisant les bras ; deux chiens soutiennent son écusson burelé sans couleur ; ses pieds, chaussés de chaussures pointues, ne s’appuient sur rien ; un petit dais carré abrite sa tête. On regarde le premier comme étant saint Gurlot, martyrisé à cette place même, aussi son sarcophage est-il percé d’un trou où à certains jours de fête les malades viennent se plonger le bras pour se guérir. Mais le second mort n’a pas laissé son nom. Promenant sur lui notre chandelle nous avons cherché à reconnaître son visage, comme si nous l’eussions connu jadis ! N’est-on pas toujours attiré vers ces choses par un sentiment d’inquiétude curieuse ainsi que vis-à-vis d’un voyageur qui vient de loin ou d’une lettre cachetée. Ainsi se passe une journée en voyage, il n’en faut pas plus pour la remplir : une rivière, des buissons,