Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/366

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suis fier et j’en suis heureux, je voudrais y vivre. J’aimerais bien à être muletier (car j’ai vu un muletier), à me coucher sur mes mules et à entendre leurs clochettes dans les gorges des montagnes ; ma chanson moresque fuirait répétée par les échos. À Behobie je voyais l’Espagne sur l’autre rive et mon cœur en battait de plaisir, c’est une bêtise. La Bidassoa nous a conduits jusqu’à Fontarabie, ayant la France à droite, l’Espagne à gauche. L’île des Faisans ne vaut pas la peine d’être nommée, placée comme une petite touffe d’herbes dans un fleuve, entre de hautes montagnes des deux côtés. Nous avons débarqué sur la terre d’Espagne et, après avoir suivi une chaussée entourée de maïs, nous nous trouvâmes devant la porte principale qui tombe dans les fossés. Il en sortait au même instant une grande fille, pieds nus, vêtue de rouge et les tresses sur les épaules ; elle ne détourna pas la tête et continua sa route. Fontarabie est une ville toute en ruines. L’on n’entend aucun bruit dans les rues, les herbes poussent sur les murs calcinés, point de fenêtres aux maisons. La principale rue est droite et raide, entourée de hautes maisons noires garnies toutes de balcons pourris où sont étendus des haillons rouges qui sèchent au soleil ; nous l’avons gravie lentement, regardant de tous côtés et regardés encore plus. C’est l’Espagne telle qu’on l’a revue souvent : à travers un pan de mur gris, derrière un tas de ruines couvert d’herbes, dans les crevasses du terrain bouleversé, un rayon de soleil