Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/470

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bonnet sur ta tête déjà chauve, et ne voyant de jour qu’à travers les barreaux de cette cage que tu illustres, tu me sembles plus misérable, plus stupide et plus condamnable que tous ceux qui sont là derrière la muraille, aigles de la montagne qui soupirent après l’heure où ils pourront reprendre leur volée.

J’ai vu, dans les cellules des prisonniers, un jeune garçon de Sartene qui a porté faux témoignage ; il était condamné à un an de prison, mais il souriait, passant la main dans ses cheveux, il avait un large front et des dents blanches. J’ai vu aussi plusieurs meurtriers qui m’avaient l’air fort heureux ; j’ai revu mon vieux Bastianesi qui va bientôt sortir ; il y avait de plus une femme adultère qui va bientôt accoucher et qui pense au fils qui va naître, et un Gênois accusé de viol, qui a une figure fort bouffonne. Tous m’ont fait plus de plaisir à voir que toi, homme à bonne conduite, parce que ceux-là aiment et haïssent, qu’ils ont des souvenirs, des espoirs, des projets ; ils aiment la lumière, le grand jour, la liberté, la montagne ; mieux que toi, savant, ils comprennent l’élégie que soupire le laurier-rose à la brise du soir, le dithyrambe des pins qui se cassent, le monologue de l’orage qui hurle et de la haine quand elle emplit les cœurs vigoureux. Ils n’ont point de poitrine étriquée, de membres amaigris, d’esprit sec, de vanité misérable. Je te hais, fils de geôlier qui veux devenir académicien, et il n’a fallu rien moins pour te faire oublier que l’excellent déjeuner que nous avons fait chez