Page:Flaubert - Salammbô.djvu/22

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pagne faisaient tourner leurs roues sur les dalles des rues. Des dromadaires chargés de bagages descendaient les rampes. Les changeurs dans les carrefours relevaient les auvents de leurs boutiques. Des cigognes s’envolèrent, des voiles blanches palpitaient. On entendait dans le bois de Tanit le tambourin des courtisanes sacrées, et à la pointe des Mappales, les fourneaux pour cuire les cercueils d’argile commençaient à fumer.

Spendius se penchait en dehors de la terrasse ; ses dents claquaient, il répétait :

— Ah ! oui… oui… maître ! je comprends pourquoi tu dédaignais tout à l’heure le pillage de la maison.

Mâtho fut comme réveillé par le sifflement de sa voix, il semblait ne pas comprendre ; Spendius reprit :

— Ah ! quelles richesses ! et les hommes qui les possèdent n’ont pas même de fer pour les défendre !

Alors, lui faisant voir de sa main droite étendue quelques-uns de la populace qui rampaient en dehors du môle, sur le sable, pour chercher des paillettes d’or :

— Tiens ! lui dit-il, la République est comme ces misérables : courbée au bord des océans, elle enfonce dans tous les rivages ses bras avides, et le bruit des flots emplit tellement son oreille qu’elle n’entendrait pas venir par derrière le talon d’un maître !

Il entraîna Mâtho tout à l’autre bout de la terrasse, et lui montrant le jardin où miroitaient au soleil les épées des soldats suspendues dans les arbres :