Page:Flaubert - Salammbô.djvu/47

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nous avons assez d’onguents pour le service des dieux ! Quant aux choses de la table, je n’en parle pas, c’est une calamité ! Faute de galères, nous manquons d’épices, et l’on a bien du mal à se fournir de silphium, à cause des rébellions sur la frontière de Cyrène. La Sicile, où l’on trouvait tant d’esclaves, nous est maintenant fermée ! Hier encore, pour un baigneur et quatre valets de cuisine, j’ai donné plus d’argent qu’autrefois pour une paire d’éléphants !

Il déroula un long morceau de papyrus ; et il lut, sans passer un seul chiffre, toutes les dépenses que le Gouvernement avait faites : tant pour les réparations des temples, pour le dallage des rues, pour la construction des vaisseaux, pour les pêcheries de corail, pour l’agrandissement des Syssites, et pour des engins dans les mines, au pays des Cantabres.

Mais les capitaines, pas plus que les soldats, n’entendaient le punique, bien que les Mercenaires se saluassent en cette langue. On plaçait ordinairement dans les armées des Barbares quelques officiers carthaginois pour servir d’interprètes ; après la guerre ils s’étaient cachés de peur des vengeances ; et Hannon n’avait pas songé à les prendre avec lui ; d’ailleurs sa voix trop sourde se perdait au vent.

Les Grecs, sanglés dans leur ceinturon de fer, tendaient l’oreille, en s’efforçant à deviner ses paroles, tandis que des montagnards, couverts de fourrures comme des ours, le regardaient avec défiance ou bâillaient, appuyés sur leur massue à clous d’airain. Les Gaulois, inattentifs, secouaient en ricanant leur haute chevelure, et les hommes du