Page:Flaubert - Salammbô.djvu/52

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Le matin, il se cachait dans les cavernes ; le soir, il se remettait en marche, avec ses plaies saignantes, affamé, malade, vivant de racines et de charognes ; un jour enfin, il aperçut les lances à l’horizon et il les avait suivies. Sa raison était troublée à force de terreurs et de misères.

L’indignation des soldats, contenue tant qu’il parlait, éclata comme un orage ; ils voulaient massacrer les Gardes avec le Suffète. Quelques-uns s’interposèrent, disant qu’il fallait l’entendre et savoir au moins s’ils seraient payés. Alors tous crièrent :

— Notre argent !

Hannon leur répondit qu’il l’avait apporté.

On courut aux avant-postes, et les bagages du Suffète arrivèrent au milieu des tentes, poussés par les Barbares. Sans attendre les esclaves, ils dénouèrent les corbeilles ; ils y trouvèrent des robes d’hyacinthe, des éponges, des grattoirs, des brosses, des parfums, et des poinçons en antimoine pour se peindre les yeux ; le tout appartenant aux Gardes, hommes riches accoutumés à ces délicatesses. Ensuite on découvrit sur un chameau une grande cuve de bronze : c’était au Suffète pour se donner des bains pendant la route ; car il avait pris toutes sortes de précautions, jusqu’à emporter, dans des cages, des belettes d’Hécatompyle que l’on brûlait vivantes pour faire sa tisane. Comme sa maladie lui donnait un grand appétit, il y avait, de plus, force comestibles et force vins, de la saumure, des viandes et des poissons au miel, avec des petits pots de comagène, graisse d’oie fondue recouverte de neige et de paille hachée. La provision en était consi-