Page:Flaubert - Salammbô.djvu/70

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jardins étaient vides, et la porte rouge à croix noire restait constamment fermée.

Plus de vingt fois il fit le tour des remparts, cherchant quelque brèche pour entrer. Une nuit, il se jeta dans le golfe, et, pendant trois heures, il nagea tout d’une haleine. Il arriva au bas des Mappales, voulut grimper contre la falaise. Il ensanglanta ses genoux, brisa ses ongles, puis retomba dans les flots et s’en revint.

Son impuissance l’exaspérait. Il était jaloux de cette Carthage enfermant Salammbô, comme de quelqu’un qui l’aurait possédée. Ses énervements l’abandonnèrent et ce fut une ardeur d’action folle et continuelle. La joue en feu, les yeux irrités, la voix rauque, il se promenait d’un pas rapide à travers le camp ; ou bien, assis sur le rivage, il frottait avec du sable sa grande épée. Il lançait des flèches aux vautours qui passaient. Son cœur débordait en paroles furieuses.

— Laisse aller ta colère comme un char qui s’emporte, disait Spendius. Crie, blasphème, ravage et tue. La douleur s’apaise avec du sang, et puisque tu ne peux assouvir ton amour, gorge ta haine ; elle te soutiendra !

Mâtho reprit le commandement de ses soldats. Il les faisait impitoyablement manœuvrer. On le respectait pour son courage, pour sa force surtout. D’ailleurs, il inspirait comme une crainte mystique ; on croyait qu’il parlait, la nuit, à des fantômes. Les autres capitaines s’animèrent de son exemple. L’armée, bientôt, se disciplina. Les Carthaginois entendaient de leurs maisons la fanfare des buccines qui réglait les exercices. Enfin les Barbares se rapprochèrent.