Page:Flaubert - Salammbô.djvu/75

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geaient pour lui écraser les pieds, et au pugilat, dès la première passe, lui fracassaient la mâchoire. Les frondeurs effrayaient les Carthaginois avec leurs frondes, les Psylles avec des vipères, les cavaliers avec leurs chevaux. Ces gens d’occupations paisibles, à tous les outrages, baissaient la tête et s’efforçaient de sourire. Quelques-uns, pour se montrer braves, faisaient signe qu’ils voulaient devenir des soldats. On leur donnait à fendre du bois et à étriller des mulets. On les bouclait dans une armure et on les roulait comme des tonneaux par les rues du camp. Puis, quand ils se disposaient à partir, les Mercenaires s’arrachaient les cheveux avec des contorsions grotesques.

Beaucoup, par sottise ou préjugé, croyaient naïvement tous les Carthaginois très riches, et ils marchaient derrière eux en les suppliant de leur accorder quelque chose. Ils demandaient tout ce qui leur semblait beau : une bague, une ceinture, des sandales, la frange d’une robe, et, quand le Carthaginois dépouillé s’écriait :

— Mais je n’ai plus rien. Que veux-tu ?

Ils répondaient :

— Ta femme !

D’autres disaient :

— Ta vie !

Les comptes militaires furent remis aux capitaines, lus aux soldats, définitivement approuvés. Alors ils réclamèrent des tentes ; on leur donna des tentes. Les polémarques des Grecs demandèrent quelques-unes de ces belles armures que l’on fabriquait à Carthage ; le Grand Conseil vota des sommes pour cette acquisition. Mais il était juste, prétendaient les cavaliers, que la Répu-