Page:Flaubert - Salammbô.djvu/82

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Aux derniers feux du soleil, les plaques d’airain la garnissant de haut en bas resplendissaient ; les Barbares crurent apercevoir sur elle une traînée sanglante. Chaque fois que Giscon voulait parler, leurs cris recommençaient. Enfin, il descendit à pas graves et s’enferma dans sa tente.

Quand il en sortit, au lever du soleil, ses interprètes, qui couchaient en dehors, ne bougèrent point ; ils se tenaient sur le dos, les yeux fixes, la langue au bord des dents et la face bleuâtre. Des mucosités blanches coulaient de leurs narines, et leurs membres étaient raides, comme si le froid pendant la nuit les eût tous gelés. Chacun portait autour du cou un petit lacet de joncs.

La rébellion dès lors ne s’arrêta plus. Ce meurtre des Baléares rappelé par Zarxas confirmait les défiances de Spendius. Ils s’imaginaient que la République cherchait toujours à les tromper. Il fallait en finir ! On se passerait des interprètes ! Zarxas, avec une fronde autour de la tête, chantait des chansons de guerre ; Autharite brandissait sa grande épée ; Spendius soufflait à l’un quelque parole, fournissait à l’autre un poignard. Les plus forts tâchaient de se payer eux-mêmes, les moins furieux demandaient que la distribution continuât. Personne maintenant ne quittait ses armes, et toutes les colères se réunissaient contre Giscon dans une haine tumultueuse.

Quelques-uns montaient à ses côtés. Tant qu’ils vociféraient des injures on les écoutait avec patience ; mais s’ils tentaient pour lui le moindre mot, ils étaient immédiatement lapidés, ou par derrière d’un coup de sabre on leur abattait la