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LES
AMBITIONS DE FARAUDE

PAR Mlle ZENAÏDE FLEURIOT


Qu’il est beau de voir la fumée de sa propre cabane
(Proverbe suédois.)


CHAPITRE 1er


Ambitieuse Marion, l’honnête et pieuse servante du non moins honnête et non moins pieux Jean Louis Ronan, marchand drapier dans la pittoresque ville de Saint-Cornély !

C’était bien le cas de s’écrier : Où l’ambition va-t-elle se nicher ?

Car en vérité si vous voulez, lecteur, avoir la vision des gens heureux dans leur obscure, mais solide position, aller acheter une douzaine de boutons, ou bien un écheveau de fil dans l’antique boutique de M. Ronan, sise rue du Rouet-d’Or, à Saint-Cornély.

La maison qui fait l’angle de la rue est demeurée ce qu’elle était quand elle fût bâtie sous Louis XIV, par un riche marchand de toiles de la ville.

C’est une bonne et solide maison qui ne prodigue pas les ouvertures et qui n’étale pas sur la rue sombre des vitrages étincelants.

Ce n’est pas l’élégant magasin moderne, c’est la boutique, l’humble et commode boutique telle que l’ont connue nos bons aïeux.

Elle est éclairée par un vitrage cintré à petite carreaux, à peine plus haut qu’une fenêtre ordinaire, mais beaucoup plus large, et ouvert par tous les temps. Sur le bord extérieur en pierre sont rangées, lorsqu’il fait beau, quelques pièces de draps communs et de rouenneries. Une guirlande de boutons, de noirs tendue sur les épais abat-vents destinés à la fermeture de nuit, annonce que la mercerie fait aussi partie du commerce de M. Ronan.

L’enseigne est accolée à l’abat-vent. C’est une quenouille enfumée autour de laquelle s’enroule un ruban d’or sur laquelle se lit : À la uenouille de la Reine. Du reste toute la ville et surtout toute la campagne connaissent la boutique de draperie de la rue du Rouet-d’Or.

On y monte par deux degrés de pierre, on y descend par le même nombre de degrés et, en passant par une porte étroite toujours ouverte, on se trouve dans une boutique spacieuse ornée à droite et à gauche de deux lourds comptoirs qui semblent avoir pris racine dans le dallage de pierre. Derrière le comptoir de droite sont empilées les pièces de drap et ce qu’on appelle encore les rouenneries. Il n’y a point là de draps lustrés et fins, mais des draps solides et de bonnes étoffes de laine fabriquées dans le pays.

Au-dessus de ce comptoir une baguette de fer tient suspendu à hauteur d’homme, un mètre solide à coins de cuivre. La mesure légale est là bien en vue ; mais toutefois sans porter préjudice à l’aune, l’aune antique, dissimulée dans un angle, à la portée de la main. Cela ne faisait mal à personne : mais il y avait encore à St-Cornély des femmes qui savaient ce qui entrait d’aunes de draps dans leur jupe et qui n’auraient pas su compter les centimètres ajoutés au mètre pour lui donner la longueur voulue. Celles-là, leur choix fait, se dirigeaient vers le fond du comptoir, et le marchand aunait le drap non sans un certain mystère.

Tous les jours d’ailleurs ces clientes-là allaient diminuant, et leur coiffe couvrait toujours des cheveux gris.

L’autre comptoir est orné de larges balances de fer blanc à chaînes de fer, et les casiers appliqués contre la muraille contiennent les mille objets de mercerie employés pour les costumes campagnards. Car la clientèle de la Quenouille est surtout composée de