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que fait naître la séparation. Quand ils seront réunis, la femme aura perdu sa beauté, l’homme ses illusions ; son cœur sera sans amour, son esprit sans fraîcheur, car vingt années d’ennuis, de craintes, de jalousies défleurent les plus belles ames ; mais il sera amiral ! pair du royaume ! ministre ! etc. Absurde vanité !…

Je ne saurais dire combien l’histoire du commandant de la Challenger me fit faire d’amères réflexions… Je rencontrais partout la peine morale   ; partout je la voyais résulter de préjugés impies qui mettent l’homme en lutte avec la Providence, et je m’indignais de la lenteur des progrès de la raison humaine. Je demandai à ce beau commandant s’il avait des enfants. « Oui, me répondit-il, une fille aussi belle que sa mère et un fils qu’on dit me ressembler beaucoup : je ne l’ai pas encore vu ; il aura quatre ans quand je le verrai, si Dieu permet que je le voie… » Et le malheureux étouffa un soupir. Il était sensible encore, parce qu’il était jeune ; mais, à cinquante ans, il sera probablement devenu aussi dur que son beau-père, et exigera peut-être de son fils et de sa fille des sacrifices aussi cruels que ceux qu’on lui a imposés. Ainsi se transmettent les préjugés qui dépra-