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leurs enfants en les privant de l’allaitement : toutes deux, entièrement nues, se tenaient blotties dans un coin. L’une mangeait du maïs cru ; l’autre, jeune et très belle, dirigea sur moi ses grands yeux ; son regard semblait me dire : « J’ai laissé mourir mon enfant, parce que je savais qu’il ne serait pas libre comme toi ; je l’ai préféré mort qu’esclave. » La vue de cette femme me fit mal. Sous cette peau noire, il se rencontre des ames grandes et fières ; les nègres passant brusquement de l’indépendance de nature à l’esclavage, il s’en trouve d’indomptables qui souffrent les tourments et meurent sans s’être pliés au joug.

Le lendemain, nous allâmes voir jeter le filet ; la manière de pêcher est effrayante et me parut aussi pénible que périlleuse ; les pêcheurs entrent très avant dans la mer, ils présentent à la vague la gueule ouverte d’un immense filet fixé autour d’un grand cercle. La mer arrive avec furie, les recouvre entièrement, et, lorsque la vague se retire, ils ramènent le filet sur la plage : ils étaient douze occupés à cette pêche, et ce ne fut qu’à la quatrième tentative qu’ils prirent neuf poissons. En voyant des hommes libres supporter des fatigues aussi pénibles,