Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, II.djvu/442

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
438

s’accorder avec l’accent prophétique de ces dernières paroles ; ses yeux étaient enfoncés dans leurs orbites et comme suspendus dans un globe de larmes. Elle regardait le ciel bleu et serein au dessus de nos têtes, et, tout entière à sa céleste vision, ne semblait déjà plus être de ce monde. Je m’inclinai devant cette ame supérieure, qui avait souffert tous les tourments réservés aux êtres de sa nature dans leur passage sur la terre. J’allais continuer la conversation ; mais elle se leva brusquement, en deux sauts fut au bas de la dunette, appela sa sœur et deux dames, en leur disant : « Venez, je me sens mal. »

Escudero vint à moi, et me dit : Pardon, mademoiselle, je crains que dona Pencha n’éprouve une de ses attaques[1] ; et, dans ces mo-

  1. Madame Gamarra tombait d’épilepsie. Les attaques qu’elle en éprouvait la mettaient dans un état effrayant : ses traits se décomposaient, ses membres se contournaient, ses yeux restaient grands ouverts et immobiles ; elle sentait l’approche du moment où elle allait tomber. Si elle se trouvait à cheval, vite elle se jetait à terre ; si elle était dans quelque lieu public, elle se retirait. Lorsque l’accès la prenait, ses cheveux se hérissaient ; elle portait ses deux mains en croix sur son cerveau et poussait trois cris. Escudero m’a dit lui avoir vu jusqu’à neuf attaques dans un jour. Si elle avait vécu dans d’autres temps, elle eût pu, comme Mahomet, faire servir son infirmité à ses projets d’ambition, et donner à ses paroles l’autorité de la révélation.