Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, II.djvu/452

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alors : ah ! comme depuis la veille je la trouvais changée ! que ses joues étaient amaigries, son teint livide, ses lèvres pâles, ses yeux enfoncés et brillants comme des éclairs ! que ses mains étaient froides ! La vie paraissait prête à l’abandonner. Je n’osais lui dire un mot, tant je craignais de lui faire encore du mal. Ma tête était penchée sur son bras, une larme vint à y tomber ; cette larme fit sur cette malheureuse l’effet d’une étincelle électrique. Elle sortit de sa vision, se retourna vers moi d’une manière brusque, me regarda avec des yeux flamboyants, et me dit d’une voix sourde et sépulcrale ; — Pourquoi pleurez-vous ? mon sort vous ferait-il pitié ? me croyez-vous exilée pour toujours, perdue…, morte enfin ?… Je ne pus trouver une parole à lui répondre ; comme elle m’avait rudement poussée d’auprès de son matelas, je me trouvais à genoux devant elle ; je croisais les mains par un mouvement machinal, et continuais à pleurer en la regardant. Il y eut un long moment de silence ; elle parut se calmer et dit, d’une voix déchirante : — Tu pleures, toi ? Ah ! que Dieu soit béni ! Tu es jeune, il y a encore de la vie en toi, pleure sur moi qui n’ai plus de larmes…, sur moi qui