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livre i.

Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint ; il en souffrait bien plus.
L’aveugle, à qui tout pouvait nuire,
Était sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l’aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva
Que l’aveugle, à tâtons, au détour d’une rue,
Près du malade se trouva ;
Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n’est tels que les malheureux
Pour se plaindre les uns les autres.
J’ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres ;
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas ;
Vous-même vous n’y voyez pas ;
À quoi nous servirait d’unir notre misère ?
À quoi ? répond l’aveugle, écoutez : à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire ;
J’ai des jambes, et vous des yeux ;
Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide ;
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.