Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/74

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technique de l’esprit a d’original et d’irréductible chez l’artiste, nous sentons nous-même les difficultés et peut-être la fatigue de notre effort. Il nous faut écrire dans la langue de l’intelligible les démarches de l’action. Il nous faut serrer l’artiste au plus près, tâcher d’être lui : mais éliminer ce qu’il n’est pas, n’est-ce pas le dépouiller de sa riche qualité humaine ? Peut-être, alors que nous essayons de mettre en lumière sa dignité de penseur mais de penseur d’une certaine pensée, se jugera-t-il déchu ? C’est néanmoins en suivant cette route, et cette route seulement, et sans en dévier d’une ligne, que nous avons chance d’atteindre la vérité. L’artiste n’est ni l’esthéticien ni le psychologue ni l’historien de l’art : il peut se faire tout cela, et tant mieux. Mais la vie des formes dans son esprit n’est pas la vie des formes dans ces sortes d’esprits, et même elle n’est pas celle qui se refait après coup, avec le plus de bon vouloir et de sympathie, dans l’esprit du spectateur le mieux doué.

Est-elle donc caractérisée par l’abondance et par l’intensité des images ? On est d’abord porté à le croire, à se représenter l’esprit de l’artiste tout empli, tout illuminé d’hallucinations brillantes, et même à interpréter l’œuvre d’art comme la copie presque passive d’une « œuvre » intérieure. Il peut en être ainsi dans certains cas. Mais en général la richesse, la puissance et la liberté des images ne sont pas le propre exclusif de l’artiste, il est parfois très pauvre à cet égard, tandis que dans le reste des hommes ceux qui possèdent ces dons sont moins rares qu’on ne pense. Nous rêvons tous. Nous inventons dans nos songes, non seulement un enchaînement de circonstances, une dialectique de l’événement, mais des êtres, mais une nature, un espace d’une authenticité obsédante et illusoire. Nous sommes les peintres et les dramaturges involontaires d’une série de batailles, de paysages, de scènes de chasse et de rapt, et nous nous composons tout un musée nocturne de chefs-d’œuvre soudains, dont l’invraisemblance porte sur l’affabulation, mais non