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bouddhisme lui-même, originaires du bassin du Gange : seulement, au cours de leurs pérégrinations et de leurs vicissitudes, ne sont parvenus jusqu’à nous que les manuscrits sur feuilles de palmier ou sur écorce de bouleau qui avaient trouvé un sûr asile au sein des montagnes ou de l’océan, dans les bibliothèques singhalaises ou népalaises

Rien n’empêche donc que nous ne reprenions notre chemin en toute sûreté de conscience. Pour qui va au fond des choses il n’y a plus lieu en cette affaire de distinguer entre Midi et Septentrion. Il reste seulement que nous possédons en langues indiennes sur la vie légendaire du Bouddha Çâkya-mouni trois séries de documents appartenant à trois des quatre grandes sectes entre lesquelles s’est de bonne heure subdivisé le bouddhisme[1]. Les uns sont rédigés en pâli, comme le Mahâvagga (« la Grande section » des traités de discipline) ou le Mahâ-parinibbâna-soutta et font partie du canon des Sthaviras ou Thêras (Doyens), c’est-à-dire de la secte qui a réussi à se maintenir à Ceylan et essaimé de là en Indo-Chine. D’autres nous sont fournis par des ouvrages en sanskrit, tels que le Lalita-vistara (« la (biographie) développée à plaisir ») et le Divyâvadâna (« la Divine aventure »), qui relèvent du canon des Sarvâsti-vâdin, « Ceux qui professent le réalisme ». La troisième sorte, écrite en un prâkrit irrégulier, sorte de sanskrit macaronique, et représentée par le Mahâvastou, « le Grand sujet », constitue également un débris échappé au naufrage du canon des Mahâsânghikas ou de la « Grande Communauté ». Telles sont nos sources principales et entre ces diverses recensions nous n’avons ni ne nous accordons a priori le droit d’en adopter une à l’exclusion des autres. Ce qui a recommandé aux yeux de beaucoup de bons esprits le canon des Doyens, c’est sa relative sobriété : il aurait, disaient-ils, rejeté dans les commentaires les divagations que les autres sectes ont admises dans les textes ; et de là à conclure que la versio simplicior soit aussi la plus ancienne et la plus vraie, il n’y a qu’un pas qui a été vite franchi. À mesure que nous avancerons dans notre étude, nous nous apercevrons que cette supposition est beaucoup trop simpliste, et que le canon pâli n’est pas moins farci de merveilleux que celui des autres sectes. En même temps il nous apparaîtra de plus en plus clairement qu’à propos de chaque grand événement de la vie du Bouddha nos documents nous présentent la juxtaposition (ou, plus souvent encore, le mélange) de deux transmissions différentes ; l’une que son caractère mythique dénonce aussitôt comme la création de l’imagination populaire ; l’autre, plus sèche et plus abstraite, qui est évidemment l’œuvre des docteurs. Tout ce qu’on peut dire à la rigueur, c’est que les textes singhalais, plus tôt transportés hors de l’ambiance gangétique et édités surtout à l’usage des clercs, se sentent davantage de la tournure d’esprit monastique, tandis que ceux qui ont été élaborés dans l’Inde du Nord-Ouest pour l’édification des néophytes

  1. Nous ne retenons, pour simplifier les choses, que les quatre grandes dénominations sous lesquelles Yi-tsing range les dix-huit sectes bouddhiques (I-Tsing A Record of the Buddhist Religion trad. J. Takakusu Oxford 1896 p. xxiii). Aux deux textes pâli cités (MVA et MPS) il faut adjoindre le Culla-vagga (CVA), le Sutta-nipâta (SN), le Jâtaka et tout particulièrement l’introduction à son commentaire (NK), ainsi que le commentaire du Dhammapada (DhPC). On peut y ajouter trois sutta du Majjhima-nikâya (nos 36, 85 et 100) qui ne sont guère qu’un remaniement du MVA ; dans le Dîgha-nikâya, le Mahâpadâna-sutta (trad. dans Dial. II) qui ressasse la vie de Çâkya-muni sous le nom du Buddha précédent Vipassi = Vipaçyin (de même que fait aussi le MVU I p. 193 s. sous le nom du Buddha Dîpankara) ; et dans le Saṃyutta-nikâya le Mahânidâna-sutta (trad. dans Dial. II). N’oublions pas enfin les compilations singhalaises et birmanes utilisées respectivement par Spence Hardy (Manual) et P. Bigandet (Vie). — Aux textes sanskrits (LV et DA) se rattachent, outre le Buddha-carita (BC) et le Sûtrâlankâra (SA), les extraits du Dulva tibétain réunis par W. W. Rockhill (Life) ainsi que la compila- tion tibétaine résumée par A. Schiefner (Leben) ; se souvenir à ce propos de la phrase de Sylvain Lévi dans le JA (juillet-août 1908 p. 102) : « Désormais au lieu de dire Rockhill, Schiefner, Dulva, nous pouvons dire : les Mûla-sarvâsti-vâdin ». On sait que l’original sanskrit de leur vinaya, récemment découvert dans un stûpa près de Gilgit, est en cours de publication au Cachemire. — Le Mahâvastu (MVU) a été excellemment édité et résumé par É. Senart. — De la quatrième grande secte, celle des Sammatîya ou Sammitîya (les Unanimes ou les Mesurés ?) rien n’a été publié, que nous sachions, de leur canon original. L’Abhi-nishkramaṇa-sûtra qui s’est conservé en chinois semble être une compilation de passages empruntés à diverses sectes : la traduction abrégée en est due à S. Beal (ANS) ainsi que celle de la version chinoise du BC (Fo-sho-hing-tsan-king dans S. B. E. vol. XIX) et du Text and Commentary of the Memorial of Sakya Buddha Tathâgata by Wong Puh (viie siècle) dans JRAS old series V 1863 p. 155-220. Citons enfin les passages traduits du tibétain ou du pâli par Léon Feer dans le t. V des Annales du Musée Guimet (Paris 1883). — Nous croyons qu’en sanskrit Lalita-vistara ne pouvait originairement signifier que ce que nous avons suggéré à la ligne 19 ; mais ce sens a paru insuffisamment édifiant, et avec les Tibétains et les Chinois on traduit ordinairement ce titre par le « Développement des jeux » ou « du jeu » entendant dévotement par ce dernier mot la carrière du Prédestiné (cf. BL p. 248).