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nietzsche et l’immoralisme

nérateurs, ont été contrariées et annulées par le troupeau servile[1] .

Ainsi parle Nietzsche. S’il veut dire que la morale des civilisés affaiblit certaines énergies sauvages de l’homme, il dit une banalité ; et, s’il en veut conclure que l’homme, adouci dans ses énergies bestiales, n’a pas gagné par compensation certaines énergies supérieures, surtout d’ordre intellectuel et moral, il ne dit encore une prétendue nouveauté que sous la forme d’une insanité. De même, s’il soutient que la morale sociale, chrétienne ou autre, a parfois fait adopter telles ou telles « vertus », plus ou moins dignes de ce nom, aux dépens de certaines qualités naturelles et individuelles, il dit une banalité ; s’il ajoute que la morale sociale a eu ses erreurs et, sur bien des points, doit être rectifiée, il dit encore une banalité ; car qui prétendra que l’idéal d’un saint Siméon stylite, par exemple, soit, pour le chrétien même, le véritable idéal du XXe siècle ? Mais, s’il veut nous persuader que, dès qu’on moralise la bête humaine, on la fait dégénérer, que les Socrate, les Thraséas, les Helvidius Priscus, les Vincent de Paul sont des hommes « ratés » et « abâtardis », c’est délire pur et simple.

Quoique Nietzsche, alors même qu’il répétait Darwin, ait prétendu ne pas être darwiniste, il est de nouveau d’accord avec Darwin sur la nécessité de la lutte dans l’évolution animale et humaine. Ce fait que, à ses yeux, il ne s’agit pas seulement d’une lutte pour la simple préservation de la vie, mais bien d’une lutte pour l’accroissement indéfini de la puissance, ne change rien au résultat, qui est toujours l’apologie de la guerre universelle et de la concurrence acharnée. Nietzsche est un enthousiaste de la lutte : « Luttez toujours et sans cesse, enseigne Zarathoustra à ses disciples ; vous chercherez votre ennemi, vous combattrez votre combat, vous lutterez pour votre pensée,

  1. Crépuscule des idoles, tr. fr., p. 158.