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nietzsche et l’immoralisme

terre, mais on ne peut qu’admirer le liant idéal d’union qu’il propose entre l’homme et la femme.

La question sociale, la « question ouvrière », ce mot fait sortir Nietzsche de son assiette. Chez M. de Bismarck lui-même, qui admettait une question ouvrière, chez le nouvel empereur d’Allemagne, qui essaya de la résoudre, Nietzsche voyait des démocrates de la pire espèce, des décadents de la politique, des socialistes égarés sur le trône ou sur les marches du trône. « C’est la bêtise, dit-il, ou plutôt c’est la dégénérescence de l’instinct (que l’on retrouve au fond de toutes les bêtises), qui fait qu’il y ait une question ouvrière. Il y a certaines choses sur lesquelles on ne pose pas de question : premier impératif de l’instinct. » Nietzsche se demande ce qu’on veut faire de l’ouvrier européen après avoir fait de lui « une question ». C’est là se précipiter soi-même volontairement dans un gouffre d’où on ne pourra plus sortir. « L’ouvrier se trouve en beaucoup trop bonne posture pour ne point questionner toujours davantage, et toujours avec plus d’outrecuidance. » D’ailleurs, en fin de compte, « il a le nombre pour lui ». Nietzsche se plaint de ce qu’il faut complètement renoncer à l’espoir de voir se développer une espèce d’hommes modeste et frugale, une classe ouvrière qui répondrait au type du Chinois. « Cela eût été raisonnable, dit-il, et aurait simplement répondu à une nécessité. » Qu’a-t-on fait ? Tout pour anéantir en son germe la condition d’un pareil état de choses. « Avec une impardonnable étourderie, on a détruit dans leurs germes les instincts qui rendent les travailleurs possibles comme classe, qui leur feraient admettre à eux-mêmes cette possibilité. » On a rendu l’ouvrier « apte au service militaire » ; on lui a donné « le droit de coalition, le droit de vote politique ». Quoi d’étonnant si son existence lui apparaît aujourd’hui déjà « comme une calamité (ou, pour parler la langue de la morale, comme une injustice) » ? Mais que veut-on donc ? demande Nietzsche.