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nietzsche et l’immoralisme

châtie l’homme comme on châtie son chien, et si l’homme souffre, tant pis, ou tant mieux ! Ne faut-il pas que celui qui a la puissance supérieure la déploie aux dépens et, finalement, au profit des puissances inférieures ?

Après avoir ainsi reproché à notre temps de démocratie et de socialisme son indulgence pour les coupables, Nietzsche n’en est pas moins tout le premier à prêcher éloquemment la compassion envers les criminels :

    Vous ne voulez point tuer, juges et sacrificateurs, avant que
la bête n’ait hoché la tête ? Voyez ! le pâle criminel a hoché la
tête : de ses yeux parle le grand mépris…
    Votre homicide, ô juges, doit être compassion, et non
vengeance. Et en tuant, regardez à justifier la vie même !
    Il ne suffit pas de tous réconcilier avec celui que vous tuez.
Que votre tristesse soit l’amour du Surhomme, ainsi vous
justifiez votre survie.
    Dites « ennemi » et non pas « scélérat » ; dites « malade » et
non pas « gredin » ; dites « insensé » et non pas « pécheur ».
    Et toi, juge rouge, si tu disais |à haute voix ce que tu as fait
déjà en pensées, chacun crierait : Ôtez ces immondices et ce ver
empoisonné !
    Mais autre chose est la pensée, autre chose l’action, autre
chose l’image de l’action. La roue de la causalité ne roule pas
entre elles…
    Qu’est cet homme ? Un monceau de maladies, qui, par l’esprit,
percent hors du monde : c’est là qu’elles veulent faire leur butin.
    Qu’est cet homme ? Un amas de serpents sauvages, qui
rarement sont tranquilles ensemble ; alors Ils s’en vont, chacun de
son côté, chercher du butin par le monde.
    Voyez ce pauvre corps ! ce qu’il souffrit et ce qu’il désira,
cette pauvre âme essaya de le comprendre ; elle l’interpréta
comme la joie et l’envie criminelles vers le bonheur du couteau.
    Celui qui tombe malade maintenant est surpris par le mal qui
est mal maintenant ; il veut faire mal avec ce qui lui fait mal.
Mais il y eut d’autres temps, un autre bien, et un autre mal…
    Mais ceci ne veut pas entrer dans vos oreilles. Cela nuit à
ceux d’entre vous qui sont bons, dites-vous. Mais que
m’importent vos bons ?
    Chez vos bons, bien des choses me dégoûtent, et ce n’est
vraiment pas leur mal. Je voudrais qu’Ils aient une folie qui les
fasse périr, pareils à ce pâle criminel !