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morale des maîtres et morale des esclaves

Mourir ainsi
Que jadis je le vis mourir :
Vainqueur, destructeur…

Dans une autre page, Nietzsche veut que l’homme supérieur et héroïque éprouve, par delà la terreur et la pitié, la joie du devenir éternel, « qui comprend aussi la joie de la destruction ». Combien le prétendu « Slave » se montre ici « Germain » ! La destruction érigée en œuvre sainte, en accomplissement de l’éternelle destinée, en moment de l’éternel devenir, en condition de l’éternel retour Si les Vandales avaient fait de la métaphysique hégélienne, ils n’auraient pas parlé autrement. M. de Moltke et M. de Bismarck se sont contentés de mettre à la place du Destin ou de l’Absolu la Providence, et ils ont entonné, avant Nietzsche, le vieil hymne à la guerre, à la sainte Dévastation.

Victime de l’illusion aristocratique, Nietzsche se persuade que les privilégiés de l’ordre social et politique seront aussi, par cela même, les meilleurs de nature ou de volonté. Autre pourtant est l’aristocratie de caractère rêvée par Nietzsche et Renan, qui comprendrait les énergiques et les forts, les grands esprits et même les grands cœurs, autre est l’aristocratie de naissance ou de privilège. Qui assure Nietzsche que l’une coïncidera avec l’autre, surtout dans une. société où la justice ne sera plus la règle et où les plus forts auront seuls pour eux le droit ?

Nietzsche fonde son espérance sur la sélection même des plus forts, qui finira par en faire les plus intelligents. Avec Flaubert, avec Renan, avec presque tous les romantiques, il admet qu’un peuple n’est qu’un détour pris par la nature pour produire une douzaine de grands hommes, y compris lui-même ; et il pose en principe que : « l’humanité doit toujours travailler à mettre au monde des individus de génie ; — c’est là sa mission, elle n’en a point d’autre ». — Soit. Admettons-le, malgré la contradiction qu’il y a à dire que l’humanité est faite pour Renan, Flaubert et Nietzsche, alors que