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les jugements de nietzsche sur guyau

damment de l’usage, et de la joie finale qui y est attachée. Il croit donc que l’être fait provision de vie en excès pour « déployer sa puissance sur autrui… an andern Macht auslassen ». Guyau, au contraire, voit dans la surabondance le moyen final de ne pas dépouiller autrui et de s’unir à autrui.

Nous avouons que la position de Guyau nous semble assez logique. Si, en effet, la surabondance de force peut servir à attaquer, elle peut évidemment aussi servir à ne pas attaquer et même à s’associer. — Nietzsche répond, on s’en souvient : Les forts aiment naturellement l’isolement ; ce sont les faibles qui s’associent. — Pas toujours ; aurait répliqué Guyau. En outre, Nietzsche oublie que la surabondance vitale peut et doit se traduire, chez les animaux bien conformés, comme le singe et l’homme, par une surabondance cérébrale, qui aboutit à l’intelligence, à la faculté de représentation, et, par l’intermédiaire de la représentation, à la sympathie.

Placé comme Hercule entre deux voies, celle de l’expansion naturelle vers autrui et celle de l’expansion naturellement agressive contre autrui, chacun devra choisir : il faut nécessairement suivre ou Nietzsche ou Guyau. En suivant la voie de Guyau, on fonde l’altruisme naturel sur la loi même de la vie. Ce n’est pas là l’affaire de Nietzsche, qui veut rester dans l’égoïsme primitif et, pour cela, prêche le déploiement de la puissance sur et contre autrui. Aussi accuse-t-il Guyau de commettre là « une faute », — la faute de contredire Nietzsche. Il l’accuse même d’être en contradiction avec soi : « En son effort, dit-il, pour montrer que les instincts moraux ont leur fondement dans la vie même, l’auteur a oublié qu’il a démontré le contraire, — à savoir que tous les instincts fondamentaux de la vie sont immoraux, y compris ceux qu’on appelle moraux. La plus haute intensité de vie est sans doute en proportion nécessaire de sa plus large expansion ; seulement celle-ci est ennemie de tous les faits altruistiques. Cette expansion