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nietzsche et l’immoralisme

qui, devant une table de jeu, crie constamment : Au double, c’est-à-dire ajoute à sa mise tout ce que son bonheur lui a donné. Pierres, bêtes, plantes, après avoir été ainsi formées par ces heureux coups de dés, sont de nouveau remises au jeu : « Et qui sait si l’homme n’est pas la réussite d’un coup qui visait très haut ? » Nietzsche emprunte à Gœthe cette conception du monde et la reproduit presque dans les mêmes termes, en y ajoutant l’espoir d’un coup de dés qui produira le surhomme.

    « Par hasard » — c’est là la plus vieille noblesse du monde ; je l’ai rendue à toutes choses, je l’ai délivrée de la servitude du but.


Zarathoustra ne s’aperçoit pas que le hasard lui-même se ramène à la fatalité, comme l’avait bien compris Démocrite, et que c’est une étrange délivrance que d’être affranchi de la finalité au profit de la nécessité. Il n’en donne pas moins au hasard, se souvenant peut-être d’Épicure, le nom de liberté :

    Cette liberté et cette sérénité célestes, je les ai placées comme des clochers d’azur sur toutes choses, lorsque j’ai enseigné qu’au-dessus d’elles et par elles aucune volonté éternelle ne voulait.
    J’ai mis en place de cette volonté cette pétulance et cette folie, lorsque j’ai enseigné : — Une chose est impossible partout, et cette chose est le sens raisonnable !
    Un peu de raison cependant, un grain de sagesse, dispersé d’étoile en étoile, ce levain est mêlé à toutes choses, c’est à cause de la folie que la sagesse est mêlée à toutes choses !
    Un peu de sagesse est possible ; mais j’ai trouvé dans toutes choses cette certitude bienheureuse : elles préfèrent danser sur les pieds du hasard.
    Ô ciel au-dessus de moi, ciel pur et haut ! Ceci est maintenant pour moi ta pureté, qu’il n’existe pas d’éternelle araignée et de toile d’araignée de la raison ;
    Que tu es un lieu de danse pour les hasards divins, que tu es
une table divine pour le jeu de dés et les joueurs divins[1].

  1. Zarathoustra, tr.fr., p. 234.