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nietzsche et l’immoralisme

au-delà du temps, finit par un acte religieux d’amour pour l’éternité !

<poem style="margin-left:5em; font-size:90%">

   Si jamais ma colère a violé des tombes, reculé des bornes de frontières et jeté de vieilles tables brisées dans des profondeurs à pic ;
   Si je me suis jamais assis plein d’allégresse, à l’endroit où sont enterrés des dieux anciens, bénissant et aimant le monde, à côté des monuments d’anciens calomniateurs du monde :
   — car j’aimerai même les églises et les tombeaux des dieux, quand le ciel regardera d’un œil clair à travers leurs voûtes brisées ; j’aime à être assis sur les églises détruites, semblable à l’herbe et au rouge pavot :
   — Oh ! comment ne serais-je pas ardent de l’éternité, ardent du nuptial anneau des anneaux, — l’anneau du devenir et du retour ?
   Jamais encore je n’ai trouvé la femme de qui je voudrais avoir des enfants, si ce n’est cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité !
   Car je t’aime, ô Éternité !
   Si jamais un souffle est venu vers moi, un souffle de ce souffle créateur, de cette nécessité divine qui force même les hasards à danser les danses d’étoiles :
   Si jamais j’ai ri du rire de l’éclair créateur que suit en grondant, mais avec obéissance, le long tonnerre de l’action :
   Si jamais j’ai joué aux dés avec des dieux, à la table divine de la terre, en sorte que la terre tremblait et se brisait, soufflant en l’air des fleuves de flammes :
   — car la terre est une table divine, tremblante de nouvelles paroles créatrices et d’un bruit de dés divins :
   — Oh ! comment ne serais-je pas ardent de l’éternité, ardent du nuptial anneau des anneaux, — l’anneau du devenir et du retour ?
   Jamais encore je n’ai trouvé la femme de qui je voudrais avoir des enfants, si ce n’est cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité !
   Car je t’aime, ô Éternité !
   Si jamais j’ai bu d’un long trait à cette cruche écumante d’épices et de mixtures, où toutes choses sont bien mélangées[1];
   Si jamais ma main a mêlé le plus lointain au plus proche, le feu à l’esprit, la joie à la peine et les pires choses aux meilleures ;
  1. Cf. Héraclite, qui a dit : « Le monde est un breuvage doux et amer, qui ne se conserve que par une éternelle agitation. »