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nietzsche et l’immoralisme

    À chaque âme appartient un autre monde ; pour chaque âme, toute autre âme est un arrière-monde…
    Pour moi, comment y aurait-il quelque chose en dehors de moi ? Il n’y a pas d’en dehors ! Mais tous les sons nous font oublier cela. Comme il est agréable que nous puissions oublier !
    Comme toute parole est douce ! Comme tous les mensonges des sons nous paraissent doux ! Les sons font danser notre amour sur des arcs-en-ciel multicolores[1].



Nietzsche offre d’autant plus d’intérêt pour nous, Français, qu’il est l’aboutissant de tout un siècle de germanisme, de tout un courant d’idées hostiles aux nôtres, et d’idées-forces, ou plutôt d’idées servies par la force la plus brutale, dont, en 1870, nous avons été les victimes. Ce que l’Allemagne a de plus « avancé » et ce qu’elle a de plus « rétrograde » se retrouve chez le chantre de Zarathoustra. Toute la critique allemande des religions et des philosophies vient s’exprimer chez lui en blasphèmes voulus et en négations forcenées ; mais aux négations succèdent les affirmations enthousiastes, d’autant plus enthousiastes qu’elles sont plus dénuées de preuves ; et l’objet de cet enthousiasme, nous l’avons vu, c’est une conception de la société humaine qui rappelle le moyen âge, c’est une conception du monde entier qui nous ramène au paganisme antique.

II

idée fondamentale de nietzsche.


De même que La Rochefoucauld avait voulu traduire toutes les démarches de l’esprit en mouvements de l’amour-propre, Nietzsche a essayé de traduire en volonté de puissance et de domination tous les actes de l’homme isolé ou en société. Ces « transmutations de

  1. Zarathoustra, tr. fr., p. 309.